Pas de dividendes pour les actionnaires des entreprises climaticides

Pas de dividendes pour les actionnaires des entreprises climaticides
  • Les entreprises du Cac40 nous conduisent vers un monde Ă  +3,5°

En moyenne, l’empreinte carbone des entreprises du Cac40 s’élĂšve Ă  4,1 tonnes de CO2eq3 Ă  chaque fois qu’elles rĂ©alisent 1 000 euros de chiffre d’affaires, soit l’équivalent des Ă©missions carbone que devraient avoir deux Français en un an pour rester dans un monde Ă  1, 5 degrĂ©s. Cette estimation d’Oxfam, publiĂ©e dans son rapport «Climat : CAC degrĂ©s de trop», paru en 2021, montre bien la relation vicieuse entre la distribution de dividendes et les Ă©missions de CO2, les entreprises les plus polluantes, Ă©tant souvent celles qui versent le plus de dividendes Ă  leurs actionnaires.

Chaque fois qu’ArcelorMittal verse 100 euros de dividendes, c’est l’équivalent en Ă©missions de tonnes de CO2 d’une centaine d’allers-retours Paris-New York en avion par passager. Chaque fois que la SociĂ©tĂ© gĂ©nĂ©rale verse 100 euros, c’est 3030 allers-retours
 Les chiffrages de Greenpeace, dans son rapport « Climat, l’argent du chaos », donnent le tournis. Parmi les entreprises du Cac40, seules trois (EDF, Schneider Electric et Legrand) ont une empreinte carbone et des engagements climat compatibles avec un rĂ©chauffement infĂ©rieur Ă  2° d’ici la fin du siĂšcle.

Les 37 autres entreprises ne sont donc pas dans les clous de l’accord de Paris, malheureusement non coercitif. Aujourd’hui, ces sociĂ©tĂ©s cotĂ©es ont pour seule obligation de publier un bilan carbone annuel. Il nous faut aller plus loin, et inscrire dans la loi l’obligation pour les plus grandes entreprises de rĂ©duire leurs Ă©missions de gaz Ă  effets de serre, sous peine par exemple de ne plus pouvoir verser de dividendes. Nous ne sommes pas les seuls Ă  dĂ©fendre cette idĂ©e. Greenpeace plaide aussi pour cette rĂšgle, et revendique la crĂ©ation d’une compagnie nationale de « commissaires aux comptes carbone » chargĂ©e de la certification des rĂ©sultats extra-financiers et d’une nouvelle autoritĂ© administrative chargĂ©e du contrĂŽle et des sanctions.

 

  • Les dividendes augmentent, l’investissement dans la transition bas-carbone reste insuffisant

Pour respecter les objectifs de l’accord de Paris, les entreprises françaises vont devoir investir bien plus massivement qu’elles ne le font actuellement pour rester dans les clous d’un rĂ©chauffement Ă  +1,5° Ă  la fin du siĂšcle. Selon l'institut Rexecode, les entreprises françaises, qui ont investi un total de 350 milliards d'euros en 2021 dans leur transition Ă©cologique vont devoir sortir au moins 35 milliards de plus de leurs poches par an d'ici Ă  2030 pour respecter les accords de Paris.

En mĂȘme temps, les entreprises du CAC 40 ont versĂ© 56,5 milliards d'euros Ă  leurs actionnaires en 2022, soit les deux tiers des profits rĂ©alisĂ©s la mĂȘme annĂ©e, des chiffres en augmentation de 13,3 % par rapport Ă  2021. Selon les estimations de Greenpeace, il manque 18 milliards d’euros par an, soit la somme des dividendes versĂ©es en un an par les 10 plus gros pollueurs du Cac 40. CQFD.

« Pour financer la transition Ă©nergĂ©tique, les entreprises vont devoir rĂ©duire la rĂ©munĂ©ration de leurs actionnaires », Ă©crivait l’économiste Patrick Arthus dans une tribune publiĂ©e dans le journal Le Monde dĂ©but novembre dernier1. L’économiste en chef de Natixis n’est pourtant pas connu pour ses positions Ă©co-socialistes. Le consensus autour du constat du manque d’investissement privĂ© dans la transition Ă©cologique est aujourd’hui partagĂ© jusque dans les milieux libĂ©raux. A Bercy, Bruno Le Maire annonçait l’étĂ© dernier la crĂ©ation d’un « plan d’épargne avenir climat », destinĂ© aux mineurs qui devrait servir Ă  financer des projets bas-carbone.

Évidemment, l’épargne privĂ©e doit ĂȘtre mise au service de projets Ă©cologiques. Mais ne faudrait-il pas d’abord se prĂ©occuper de la rĂ©orientation des investissements des grandes entreprises ? Entre 2015 et 2019, le Haut Conseil pour le Climat a rĂ©pertoriĂ© 75 milliards d’euros d’investissements dĂ©favorables au climat, contre seulement 41 milliards « Ă©colo-compatibles ».

 

  • On le fait dĂ©jĂ  avec les primes d’intĂ©ressement. Pourquoi pas avec les dividendes ?

Depuis 2019, la loi Pacte facilite la possibilitĂ© de conditionner le versement des primes d’intĂ©ressement Ă  des objectifs de performance extra-financiĂšre, qu’ils soient sociaux (organisation du travail, santĂ©, Ă©galitĂ© femmes-hommes
), environnementaux ( Ă©missions CO2, Ă©conomie circulaire, biodiversité ) ou sociĂ©taux (droits de l’homme et sous-traitance, objectifs de dĂ©veloppement durable, santĂ© et sĂ©curitĂ© des consommateurs
).

Aujourd’hui, plusieurs grands groupes comme Schneider electric, Arkema ou Air Liquide ont intĂ©grĂ© des critĂšres RSE pour les primes d’intĂ©ressement de leurs cadres. Ces critĂšres peuvent ĂȘtre multiples : limite annuelle d’émissions de CO2 relatives aux modes de travail, Taux de valorisation des dĂ©chets, taux de pollution Ă  la sortie des cheminĂ©es d’une usine
 les entreprises disposent aujourd’hui d’indicateurs extra-financiers assez prĂ©cis qui leur permettent de mettre en place ces politiques salariales. Si on peut conditionner le versement des primes d’intĂ©ressement aux objectifs RSE, pourquoi ne pas le faire avec les dividendes ?

Appliquer ce conditionnement aux dividendes permettrait de sortir d’une logique d’individualisation des responsabilitĂ©s, et de mettre l’enjeu climatique au cƓur de la stratĂ©gie des entreprises. Pour ça, une autoritĂ© indĂ©pendante chargĂ©e du contrĂŽle des comptes carbone est indispensable pour Ă©viter les pratiques de « greenwashing », comme il en existe aujourd’hui avec les « primes RSE ». Selon le cabinet de conseil PwC, la BNP Paribas a conditionnĂ© en 2013 l’octroi d’une prime de ce type Ă  la rĂ©duction de la consommation de papier de 7kg par salariĂ©. L’objectif paraĂźt dĂ©risoire quand on sait que la banque a investi 165 milliards de dollars dans l’extraction d’énergies fossiles depuis la signature des accords de Paris.

 

  • La taxation europĂ©enne des superprofits a accouchĂ© d’une souris

En septembre 2022, en plein dĂ©bat sur les superprofits, l’Union EuropĂ©enne votait une « contribution temporaire de solidaritĂ© », instaurant une taxation Ă  33 % pour les producteurs et distributeurs de pĂ©trole, gaz et charbon, qui rĂ©alisent des bĂ©nĂ©fices massifs grĂące Ă  la flambĂ©e des cours consĂ©cutive Ă  la guerre en Ukraine. En France, cette taxe n’a concernĂ©e que les producteurs d’hydrocarbures. Probablement reconduite en 2024, elle a rapportĂ© 200 millions d’euros l’annĂ©e derniĂšre, une goutte d’eau comparĂ© aux seuls bĂ©nĂ©fices de Total (36 milliards d’euros) ou d’Engie (5 milliards d’euros) sur la mĂȘme annĂ©e.

Les revendications sur la taxation des superprofits ont finalement accouchĂ© d’une souris. En plus d’ĂȘtre temporaire, cette contribution temporaire de solidaritĂ©, en se concentrant sur les pĂ©troliers, exclut d’autres gros Ă©metteurs de CO2 comme les banques. « Cette mesure ne va pas assez loin, car elle ne cible pas tous les secteurs et que le taux fixĂ© est trop faible », avait estimĂ© le RĂ©seau Action climat au moment de l’examen du texte au Parlement europĂ©en. Une faiblesse d’autant plus marquĂ©e que la plupart des grands groupes pĂ©troliers pratiquent l’optimisation fiscale, et ne dĂ©clarent qu’une faible partie de leurs bĂ©nĂ©fices en France. En 2022, Total a versĂ© 200 millions d’euros au Fisc, soit 0,9 % de ses bĂ©nĂ©fices.

Pour rediriger une partie de ces superprofits vers des investissements dans la transition Ă©cologique et non dans la poche des actionnaires, il faudrait s’attaquer au partage de la valeur entre salariĂ©.es et actionnaires. Mais l’option est Ă©cartĂ©e par la Macronie. En 2022, le gouvernement a rejetĂ© la proposition de taxe sur les « superdividendes », tous secteurs confondus, pourtant formulĂ©e par un dĂ©putĂ© de la majoritĂ©, Jean-Paul Mattei (Modem), lors de l’examen du projet de loi de finances 2023.

 

  • Ces entreprises mutualistes qui crĂ©ent un «dividende sociĂ©tal»

DĂ©but 2023, Le CrĂ©dit Mutuel annonçait la crĂ©ation d’un « dividende sociĂ©tal », en consacrant 15 % de son rĂ©sultat net Ă  la transition Ă©cologique, soit environ 500 millions d’euros par an. Cette enveloppe doit servir Ă  investir dans des entreprises Ă  caractĂšre social ou Ă©cologique et non-lucratives et Ă  financer des opĂ©rations de mĂ©cĂ©nat. 35 % du montant global est quant Ă  lui rĂ©servĂ© Ă  des actions dĂ©diĂ©es aux clients les plus modestes de la banque, comme le financement de prĂȘts Ă  taux zĂ©ro pour la rĂ©novation Ă©nergĂ©tique.

De son cĂŽtĂ©, la MAIF officialisait en mĂȘme temps un “dividende Ă©cologique”, consistant Ă  affecter 10% de ses bĂ©nĂ©fices Ă  des projets Ă©cologiques soit 10 millions d’euros en 2022. Avec cette somme, l’assureur compte financer des actions en faveur de prĂ©servation de la biodiversitĂ©, et accorder des aides Ă  ses sociĂ©taires pour les aider Ă  s’adapter aux dĂ©rĂšglements climatiques (barriĂšres anti-inondations, portes Ă©tanches, solidification des murs affaiblis par les sĂ©cheresses...)

Ces dividendes d’un nouveau genre, mĂȘme s’ils ne compensent pas exactement l’empreinte Ă©cologique et sociale des entreprises, permettent de mettre sur pied des politiques RSE ambitieuses dans leurs secteurs d’activitĂ©s. Dans un article publiĂ© dans Alternatives Economiques, l’économiste Eric Delannoy va dans le mĂȘme sens que les revendications du Printemps Ă©cologique: «Si l’ensemble des entreprises qui le peuvent, petites ou grandes, consacraient entre 5 et 10 % de leurs bĂ©nĂ©fices Ă  un dividende sociĂ©tal, il serait malhonnĂȘte de prĂ©tendre que cela changerait la vie des actionnaires. Pourtant ces milliards d’euros investis chaque annĂ©e dans des causes d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral auraient Ă  coup sĂ»r un impact majeur sur la sociĂ©tĂ©. Alors qu’attendent-elles pour prendre cette dĂ©cision ? 

 

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